Monday, March 21, 2016

L'effeuillage (strip-tease) du système de justice pénale militaire canadien

Au cours des 30 dernières années, le système de justice pénale militaire canadien a été contraint par les tribunaux civils et militaires de se départir de certains atours dont se revêtait la chaîne de commandement au détriment des principes de justice fondamentale et des personnes soumises à ce système.

À titre d’exemple, voici quelques-uns de ces atours exposant à nu les abus de ce système, ses carences, le disgracieux de l’effeuillage et, enfin, la nécessité d’une réforme en profondeur. Car  les tenants de ce système ont soutenu devant les tribunaux, bec et ongles, le bien-fondé de tous ces abus dont pourtant l’illégitimité était souvent d’une évidence criante vu les droits constitutionnels garantis d’un accusé à la présomption d’innocence, à une défense pleine et entière ainsi qu’à un procès  devant un tribunal indépendant  et impartial.

Au premier chef de ces abus: le contrôle de la chaîne de commandement sur les juges militaires et les poursuites pénales.

Tel qu’illustré dans l’arrêt  R. c. Lauzon, (1998) CMAC-415, les juges militaires étaient nommés par le ministre de la Défense nationale pour un court terme renouvelable. La nomination se faisait à même les avocats militaires de son ministère pour entendre les causes du ministère plaidées par des avocats militaires eux-mêmes collègues des juges militaires. Ils pouvaient être destitués par le ministre de la Défense nationale sur recommendation d’un Comité d’enquête composé de trois membres “non seulement majoritairement formé de membres de l’Exécutif, mais…présidé par le juge-avocat général qui, en plus de comparaître devant la Cour martiale permanente, est le conseiller principal de l’Exécutif en rapport avec les causes plaidées devant ladite Cour”: para.29.

Traitant de cette relation organisationnelle et institutionnelle entre le Ministre, le juge-avocat général et les membres de son Cabinet qui représentent l’Exécutif et les juges militaires qui entendent les causes du ministère, la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) concluait qu’une “personne raisonnable prenant connaissance de l’état de droit prévalant et de la promiscuité gênante qui existe entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire………..pourrait vraisemblablement conclure que les juges militaires agissent par l’Exécutif, avec l’Exécutif et pour l’Exécutif”: para.33.

En outre, la rémunération des juges était liée à celle d’un avocat militaire du même grade que le juge de sorte que leurs rémunérations au mérite dépendaient de l’Exécutif. Ils n’avaient donc pas de sécurité financière. La CACM a déclaré inconstitutionnel le processus de nomination des juges des cours martiales permanentes.

Suite aux arrêts R. c. Généreux, (1992) 1 R.C.S. 259 (inconstitutionnalité de la Cour martiale générale pour absence de garantie constitutionnelle d’indépendance et d’impartialité) et Leblanc c. Sa Majesté La Reine, 2011 CACM 2 (insconstitutionnalité des mandats à terme renouvelables des juges militaires), les juges militaires ont acquis leur indépendance judiciaire bien qu’elle ne soit pas complète. Ils ont toujours un rang militaire inférieur  à plus de 150 officiers soumis à leur compétence disciplinaire, dont le juge-avocat général qui, malgré ce que son titre annonce, n’est pas juge.

Comme l’illustre un arrêt du 18 janvier 2016 de la CACM, R. c. Gagnon, 2016 CACM 577 , le ministre de la Défense nationale détient le pouvoir d’interjeter appel des décisions des cours martiales ordonnant un arrêt des procédures ou prononçant un verdict d’acquittement ou une sentence: art.230.1 de la Loi sur la défense nationale (Loi). La CACM a déclaré inconstitutionnel ce pouvoir du ministre et a suspendu pour une période de 6 mois l’effet de sa déclaration afin de permettre au législateur d’apporter les correctifs appropriés. La décision de la CACM a été portée en appel devant la Cour Suprême du Canada en vertu de l’article 245 de ladite Loi.

Au deuxième chef: les pouvoirs octroyés à la poursuite. 

Ainsi fût déclarée inconstitutionnel l’article 165.14 de la Loi conférant à la poursuite plutôt qu’à l’accusé le choix de son mode de procès: R. c. Trépanier, 2008 CACM 3. Or le choix du mode de procès “participe d’un bénéfice, d’un élément de stratégie ou d’un avantage tactique associé au droit d’un accusé de contrôler la conduite de sa défense et d’exercer son droit à une défense pleine et entière”: para.60.

Cet avantage conféré au poursuivant était susceptible d’abus. Et comme le disait le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Bain, (1992) 1 R.C.S. 91, aux pages 103 et 104, “malheureusement, il semblerait que, chaque fois que le ministère public se voir accorder par la loi un pouvoir qui peut être utilisé de façon abusive, il le sera en effet à l’occasion”. Ce fût le cas en l’espèce. Pour la période de 2003 à 2008, il y eut entre 120 et 125 procès devant les cours martiales et aucun ne s’est tenu devant une formation de militaires assistée d’un juge militaire: para.84. Voir aussi le para. 82.

Comme je le soulignais récemment dans un blog du 13 mars dernier, la cour martiale vient de déclarer inconstitutionnel l’alinéa 129(2) de la Loi qui crée une présomption irréfragable de préjudice à la discipline et au bon ordre et, de ce fait, dispense la poursuite de faire la preuve de cet élément essentiel de l’infraction et interdit à l’accusé d’en faire la preuve contraire.

Ces quelques exemples illustrent bien le dépouillement à la pièce de pouvoirs d’intervention conférés à la chaîne de commandement dans l’administration de la justice pénale militaire ainsi que de privilèges exorbitants octroyés à la poursuite. Il est, d’une part,  à remarquer que l’existence et l’exercice de ces pouvoirs et privilèges n’ont fait rien de moins que l’objet d’une déclaration  judiciaire d’inconstitutionnalité. Il ne faut aussi pas perdre de vue les coûts importants de ces contestations judiciaires.

Ce qui m’amène à poser la question suivante: combien de temps encore durera l’effeuillage par le judiciaire car il reste beaucoup à faire pour non seulement rendre le système compatible avec la Charte constitutionnelle des droits et libertés de la personne, mais aussi le rendre plus juste et plus équitable pour les accusés et les victimes, particulièrement celles d’agressions sexuelles?

Encore là, à titre d’exemples d’une problématique beaucoup plus large, quelle justice y a-t-il dans un système de procès sommaires où l’adjudication est faite par des militaires sans formation juridique adéquate, lors desquels l’accusé est contraignable comme témoin, ne peut être représenté par avocat et ne peut en appeler à un tribunal judiciaire de la décision rendue? Quelle sorte de justice émane d’un tel processus donnant ouverture à un casier judiciaire?

Pourquoi la poursuite militaire dispose-t-elle d’un droit d’appel sur des questions mixtes de droit et de fait alors que le droit d’appel de la poursuite civile est limité à des questions de droit seulement? Pourquoi cette différence de traitement préjudiciable à l’accusé poursuivi devant un tribunal militaire alors qu’il a droit à la présomption d’innocence au même titre que celui poursuivi devant un tribunal civil?

Pourquoi la personne jugée et condamnée par un tribunal militaire ne peut faire appel de sa condamnation sur une question de fait alors que celle condamnée par un tribunal civil le peut? Pourquoi cette autre différence de traitement préjudiciable à l’accusé?

À nouveau, faudra-t-il attendre que ce soit le judiciaire qui apporte les correctifs? Pourquoi ne pas faire procéder à une révision complète et systémique du Code de discipline militaire par une équipe multidisciplinaire dans l’optique d’en simplifier le contenu et d’harmoniser ce contenu avec les exigences de la Charte et et les besoins de la discipline militaire?

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